À la mystérieuse (1926)
J'ai tant rêvé de toi
J'ai tant rêvé de toi
que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre
ce corps vivant et de baiser
sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère?
J'ai tant rêvé de toi
que mes bras habitués en étreignant ton ombre
à se croiser
sur ma poitrine
ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que,
devant l'apparence réelle de ce qui me hante et
me gouverne depuis des jours et
des années,
je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi
qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.
Je dors
debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie
et de l'amour et toi,
la seule qui compte aujourd'hui pour moi,
je pourrais moins toucher ton front et
tes lèvres
que les premières lèvres et le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi,
tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu'il ne me reste plus peut-être,
et pourtant,
qu'à être fantôme parmi les fantômes et
plus ombre cent fois que
l'ombre qui se promène et
se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.
Robert Desnos (1900 - 1945)
1 commentaire:
Je suis amoureuse de ce poème depuis des siècles. Ta mystérieuse a bien de la chance.
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