vendredi 3 juillet 2009

(Laurie Weeks - Fragments du journal d'une jeune fille traduit par Jef Caro)

"Comme tout ce que j'écris, ce texte était d'abord un fragment d'une page consigné pendant plusieurs années dans le tiroir de la honte et du mépris de soi. Quand je vivais à San Diego, il y a quelques années, où j'enseignais et apprenais à surfer, je l'ai ressorti et je l'ai achevé, avant de l'emmener à l'étage du dessous, chez Paula et Julie. "Est-ce que cette nouvelle vous donne envie de me tuer?", leur ai-je demandé. Cette histoire est née de mon amour pour la très mauvaise poésie et de ma propre expérience de grandir dans l'Idaho, dans une maison de type ranch, qui n'était qu'une cellule capitonnée au milieu d'autres cellules capitonnées. Adolescente, la lecture de Sylvia Plath a eu sur moi l'effet déplorable de me faire croire que la seule façon de se faire prendre au sérieux en tant qu'intellectuelle était de faire au moins une tentative de suicide par mois, ce que je n'ai pas réussi à faire, échec qui m'a mené à un manque chronique d'estime de soi et à l'impression d'être usurpatrice, effet qui persiste aujourd'hui, mais d'une façon positive.

Chère Sylvia Plath,
Bonjour, j'ai 14 ans, je sais que vous êtes morte mais il est 1h du matin et mon père gueule et se casse la figure au bord de la piscine comme une saucisse de porc complètement bourée, quel connard, il y a deux minutes j'étais dans la cuisine avec un couteau de boucher à la main avant qu'il ne nous flingue tous, mais je me suis dégonflée. Je sais que votre père était aussi un problème; même si je haïssais la poésie jusqu'à maintenant, je comprends totalement vos poèmes qui parlent de lui comme d'un nazi qui vous à gardé sous sa botte, j'écris cette fausse lettre parce que MAINTENANT IL SORT DE LA PISCINE COMME UN MONSTRE ET IL DIT PUTAIN, mon Dieu, Sylvia, si vous l'entendiez, c'est comme s'il n'était pas humain. Il vient de tomber de tout son poids dans la piscine, achtung, connard de nazi, noie-toi, qu'on en finisse et que je puisse me DETENDRE. Sérieusement, Sylvia, ça me scie que vous ayez pu mettre votre tête dans ce four, espèce de tarée! Je suis complètement terrifée à l'idée de mourir, même si je suis très déprimée. On a tellement peu de temps dans la vie pour faire ce qu'on veut, j'y reviendrai.
J'ai dû regarder par la fenêtre parce que le calme était revenu, mais il est simplement affalé dans l'herbe, comme un singe. c'est triste, mais je l'emmerde. Enfin, Sylvia, ça fait des années que je suis obsédée par la mort, depuis que la lecture des Quatre filles du docteur March m'a fait comprendre que nous sommes tous maudits et a ruiné ma vie. Mais un jour j'ai ouvert votre livre, LA CLOCHE DE DETRESSE, et c'était un choc, ça m'a tuée, littéralement. Pour la première fois, je voyais quelqu'un décrire dans un livre des émotions que je partageais parfaitement, et je ne savais même pas qu'on pouvait écrire dessus! J'aurais jamais trouvé ça toute seule. C'est comme quand vous parlez des tulipes qui respirent, je me suis rendue compte que moi aussi je els voyais respirer mais que je refusais de l'admettre. Oh, je DETESTE m'inquiéter mais je ne peux pas supporter de le voir comme ça, tout seul dans l'herbe, il a l'air si honteux et perdu, comme s'il ne savait pas ce qui se passe et que personne ne pouvait l'aider. Je ne veux pas vraiment qu'il glisse et qu'il se tue, juste qu'il s'assomme un moment pour que j epuisse dormir. Mais même si c'est le cas, je rêverais qu'il nous pourchasse avec son flingue, mais tant pis. J'ai toujours envie de lui dire:

"Ne t'inquiète pas, c'est pas ta faute, tout le monde t'aime, on va trouver un moyen d'arrêter ça." "

1 commentaire:

Astrid a dit…

Efficace...excellent. Je ne connais pas Laurie Weeks. Étrangement ce texte, l'écriture brute, la narration vive me rappellent le parti pris par Jack Womack dans son "Journal de Nuit".

Je file voir ton Deviant ;p

Merci d'avoir livré les sous-titres qui accompagnaient (l'idée de) tes photos..instructive l'introspection, toujours...(enfin, souvent !) Loup a-t-il vu CES photos au moins ? what a clin d'œil! Même si elle était inconsciente à l'heure de la prise de tes photos, je trouve la dédicace terriblement forte.
Merci pour le partage ma belle.